Cet été, entrait en vigueur l’accord interprofessionnel sur les pratiques contractuelles entre auteurs-scénaristes et producteurs de fiction, remplaçant l’accord de décembre 2012 (qui ne faisait que 5 pages, contre 26 désormais) et le Glossaire du scénario d’Avril 2015. 


Ce nouvel accord, conclu entre : 

- L’Union Syndicale de la Production Audiovisuelle (USPA), représentée par Iris Bucher, Présidente, 

- Le Syndicat des Producteurs Indépendants (SPI), représenté par Nora Melhli, présidente du bureau audiovisuel

- La Guilde Française des Scénaristes, représentée par Marie Roussin, Présidente et

- La Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques (SACD), représentée par Pascal Rogard, Directeur Général 

soit deux productrices pour une seule scénariste, vise à encadrer les contrats entre auteurs et producteurs pour les fictions en prises de vue réelles, à destination des chaines de télévision ou des plateformes, à l’exclusion des feuilletons, des formats courts de moins de 6 minutes et de plus de 50 épisodes par an (c’est très spécifique, oui), des œuvres de fiction interactives ou immersives, comprendre par-là les jeux vidéo et productions en VR, et enfin les œuvres de fiction destinées aux réseaux sociaux… exit donc Instagram, TikTok et Youtube. Et bien sûr, rien pour le cinéma.


Vous l’avez compris, cet accord ne couvre en fait qu’une minorité de cas. Et disons-le tout de suite, il ne sert pratiquement à rien. Bien qu’il remplace le précédent accord et le Glossaire du scénario, il les regroupe en fait en un seul et même document, en affinant les définitions notamment sur ce qu’est une bible littéraire ou une arche narrative et en redictant des acquis, comme la fiche généalogique de l’écriture ou le fait qu’il faille signer un contrat avec le producteur… Rien de révolutionnaire, donc.



Il serait presque inutile de couvrir cet accord point par point, nous nous concentrerons donc sur les éléments les plus pertinents. Précisons que l’accord encadre les bibles de séries originales d’une part et les épisodes de séries et les unitaires d’autre part. Et oui, l’accord traite des rémunérations, mais ne vous réjouissez pas trop vite…

Les unitaires, les épisodes de série et les saisons de séries préexistantes 


Ce qui ne change pas : vous allez toujours galérer à vendre vos projets, et les producteurs vont toujours chercher à vous la faire à l’envers. Ce qui change : les producteurs ont plus de moyens de vous la faire à l’envers, essentiellement parce que de nombreuses décisions sont reléguées à l’appréciation « mutuelle » du producteur et de l’auteur (donc du producteur, ne soyons pas naïfs), conjointement à un ensemble de définitions parfois floues, visant notamment à distinguer les retouches des versions. 


L’accord donne notamment les définitions suivantes : 


VERSION :  Le terme « version » désigne l’état d’un travail d’écriture, avant ou après une demande de modification substantielle.


RETOUCHES OU MODIFICATIONS NON SUBSTANTIELLES : Les termes « retouches » ou « modifications non substantielles » désignent indifféremment des changements mineurs apportés à un travail d’écriture, concernant les personnages ou l'action, qui ne changent pas la construction narrative ou la caractérisation des personnages.


REECRITURE OU MODIFICATION SUBSTANTIELLE Les termes « réécriture » ou « modifications substantielles » désignent indifféremment des changements substantiels apportés à un travail d’écriture, résultant d’un changement d’orientation de la construction narrative ou de la caractérisation des personnages. La demande simultanée ou cumulée de retouches ou de modifications non substantielles peut équivaloir à une modification substantielle si elle entraîne un travail de correction important. L’auteur-scénariste et le producteur délégué apprécient d’un commun accord ce qui est substantiel et ce qui ne l’est pas.

Les retouches n’entrainent donc pas de changement de version contrairement aux modifications substantielles, qui sont appréciées d’un « commun » accord entre producteur et scénariste. 


Mais attention à la définition d’une version, qui précise « avant OU après une demande de modification substantielle ». Ce qui implique que la modification substantielle n’entraine pas la reconnaissance systématique d’une version… bien que la définition d’une modification substantielle affirme le contraire ! 


Ce « ou » entraine un énorme flou qui aurait pu être évité avec un simple « et ». Une scénariste aurait pourtant dû savoir la différence entre les « ou » et les « et »… 


Toutes les autres définitions ne font que répéter ce qui est déjà en vigueur partout, à savoir ce qu’est une bible, un pitch ou une continuité dialoguée…


Heureusement, l’accord fait la différence entre les versions écrites avant et après la production : les versions du scénario écrites après le devis et le premier plan de travail sont dites « de tournage », et font l’objet d’une rémunération additionnelle en droits d’auteur au forfait. C’est la seule étape où la rémunération est mentionnée par l’accord, et aucun minimum n’est imposé… C’est dommage parce que l’accord limite désormais le nombre de version qu’un scénariste peut être mené à écrire : 

les unitaires

Pour les épisodes de série. Notez qu’ils précisent « en cours », mais de quoi ? D’écriture ? De diffusion ? Encore un flou…

Bonne nouvelle, donc, nous ne sommes plus condamnés à réécrire un scénario indéfiniment… en théorie, puisqu’il faut se mettre d’accord avec le producteur sur ce qui relève de la retouche ou de la réécriture, les retouches étant toujours illimitées. Et puis que se passe-t-il si la chaine décide que finalement il faut tout refaire parce qu’elle veut plutôt une série policière ? On change de version ou on repart de zéro ? 


L’accord ne verrouille pas ce cas de figure loin d’être anodin (par exemple, la série HPI n’était pas à l’origine une série policière : c’est TF1 qui l’a exigé !) - en fait, le terme « genre » n’apparait pas du tout dans l’accord !




L’accord donne désormais des fourchettes de durée relativement confortables pour les unitaires et les épisodes de série. Ces fourchettes sont déterminées au nombre de pages pour chaque phase d’écriture, sauf la continuité dialoguée. Il n’existe donc pas de pages minimum et maximum pour une continuité ? 

C’est tout simplement la liste du coût horaire de la fiction selon le diffuseur, en milliers d’euros, fournie par le CNC. 

(Lien pour télécharger d’autres chiffres : https://www.cnc.fr/documents/36995/158946/production+audiovisuelle+aid%C3%A9e.xlsx/2f72b0db-2acd-2df7-0869-78c3eb09aa74)


En gros, si on veut toucher les 20 000, il faut écrire pour les grosses chaines : M6, TF1, W9, France 2, France 3, Arte, Canal+, Disney+, et France.tv. Il faut aimer écrire du policier, en gros. 


Mais eh ! L’auteur de la bible « a un droit de priorité pour l’écriture de la bible complémentaire, du premier épisode écrit et/ou des arches narratives ». Chouette, non ? 


L’accord couvre aussi la rémunération complémentaire après amortissement du coût de l’œuvre consistant « en la majoration du taux de sa rémunération proportionnelle pour les modes d’exploitation relevant de la gestion individuelle » … mais il faut négocier cette majoration. 


Et cette rémunération complémentaire devient facultative dès lors que l’auteur négocie « à titre individuel une rémunération complémentaire d’une autre nature » … 


L’accord nous demande de tout négocier ? Mais à quoi bon mettre en place un accord si celui-ci nous dit « débrouille toi » ?

« C’est super, mais ce qui nous intéresse, c’est combien on sera payé ! » Rassurez-vous, l’accord en parle ! Par contre, ça ne concerne que les bibles de séries originales. Ils ont dû oublier d’en parler quand ils traitaient des unitaires et des épisodes de série…

Les bibles de séries originales 


Voilà ce que dit l’accord au sujet de la rémunération : 


- une base minimale de 6 000 € (six mille euros) bruts dans tous les cas, et en l’absence de tout engagement d’un éditeur de services, 


- cette base minimale est portée à 11 000 € (onze mille euros) bruts, si une convention de développement est signée avec un éditeur de services, 


- cette base minimale est portée à 20 000 € (vingt mille euros) bruts, si une série dont les dépenses directes horaires sont supérieures ou égales à 600 000 € est mise en production.


A répartir entre tous les auteurs, bien entendu. Ça ne fait pas grand-chose au final, compte-tenu du temps consacré à l’écriture d’une bible, surtout que pour monter à 20 000€, il faut que la série coûte au moins 600 000€ par heure (un léger détail que la Guilde omet dans son propre résumé de l’accord, oui oui !)

Ho là là, c’est quoi tous ces chiffres ??

Cerise sur le gâteau : les sessions d’écriture organisées par la production sont désormais couvertes par l’accord. Vous savez, ces sessions qui font régulièrement débat puisque normalement, le lien de subordination entraine un statut salarial Eh bien, désormais l’accord dit : vous venez et c’est tout. C’est toujours rémunéré en droits d’auteur, et ça s’appelle un Atelier d’Écriture Structurée, ou ADES (faut-il sûrement le prononcer comme Hadès…), avec la petite fiche de poste qui va bien pour les auteurs référents :


• Définir avec le producteur délégué les objectifs de l’ADES 


• Définir avec le producteur délégué le nombre d’auteurs scénaristes composant l’ADES et les choisir en concertation avec ce dernier 


• Définir en accord avec le producteur délégué l’organisation des réunions d’atelier 


• Définir les étapes d’écriture des auteurs scénaristes de l’atelier 


• Coordonner l’ADES et assurer un rôle de transmission au producteur délégué des informations relatives à l’avancée des travaux d’écriture et du fonctionnement de l’ADES 


• Garantir la cohérence de l’ensemble des textes et y apporter les modifications nécessaires 


• Adapter les textes aux impératifs budgétaires 


• Respecter le calendrier prédéfini de l’ADES 


• Livrer la version définitive des textes dans les temps impartis

Mais en bons princes, les producteurs s’engagent désormais à investir un montant minimum du budget dans l’écriture, la fameuse Enveloppe Minimale d’Écriture (EME, faut-il le lire comme Aimer ? Non, surement pas…) Il faut bien comprendre que quand on parle d’allouer une partie du budget dans l’écriture, cela ne veut pas dire que tout ira dans vos poches. Et alors là, attention : cela ne s’applique toujours que pour les bibles originales pour des productions dont le coût est compris entre 600 000€ et un plafond de 1,2M€ par heure. 


Cela se présente comme suit :


Lorsque l’écriture s’effectue sans constitution d’un ADES, le montant global de l’EME est égal à : 

- 3% des dépenses directes pour les œuvres de fiction françaises, ramené à 2,25% des dépenses directes pour les œuvres de fiction françaises adaptées d’une œuvre audiovisuelle ou cinématographique préexistante. 


Lorsque l’écriture s’effectue dans le cadre d’un ADES, le montant global de l’EME est égal à :

 - 3,6% des dépenses directes pour les œuvres de fiction françaises, ramené à 2,7% des dépenses directes pour les œuvres de fiction françaises adaptées d’une œuvre audiovisuelle ou cinématographique préexistante.

Mais cette EME ne peut pas être en dessous de 27 550 € par heure, ou 20 625 € par heure pour les adaptations. Bref, seulement 3% du budget est alloué, par accord, à l’écriture. Une bouchée de pain.

Encore des chiffres ??

Oui, et pas n’importe lesquels : ce sont les dépenses totales, en millions d’euros, de production de fictions. Et on voit bien que les droits artistiques représentent peu : 6,46% du total en 2022. C’est moins que les imprévus, sans parler des transports ! C’est incroyable de se dire que le pilier même de toute une production a autant de valeur que les frais de transports !!

Un accord pour qui ? Pour quoi ?


En conclusion, ce nouvel accord n’est absolument pas en faveur des auteurs, et ne s’intéresse presque qu’aux bibles de séries, en plus de reléguer beaucoup d’éléments à l’appréciation des producteurs plutôt que de les dicter, ce à quoi cet accord aurait dû servir. Il n’a pas beaucoup plus d’utilité que l’ancien, qui datait quand même de 2012. 


Alors peut-être qu’au rythme d’un nouvel accord tous les 10 ans, dans 60 ans nous aurons droit à un accord solide en faveur des auteurs… 


Il faut surtout s’inquiéter que de telles initiatives, impactant toute l’industrie, soient mises en œuvre par un seul syndicat d’auteurs face à deux syndicats de producteurs. Il aurait été préférable de ne pas signer tant l’accord dessert la profession. Les institutions La Guide des Scénaristes et la SACD ne comprennent décidément pas ce métier. Ils sont aussi mauvais dans la négociation des droits pour les auteurs.


Il est temps que le travail de scénariste soit reconnu comme un métier et non pas comme un passe-temps. Il doit être mieux   régulé. Il doit aussi prendre en compte le temps de travail d’écriture qui peut être quantifié contrairement au discours rébarbatif et vieillot de certains producteurs/diffuseurs/auteurs pour le calcul du pourcentage alloué à l’écriture d’un scénario.


L’accord a été validé par la Ministre de la Culture Rima Abdul-Malak, l’a-t-elle seulement lu ?


Si vous voulez lire l’étendue du désastre, l’accord est disponible dans son intégralité par ce lien :

https://www.sacd.fr/sites/default/files/accord_interprofessionnel_22_03_2023.pdf

Une analyse de Loris Scarcella