Charlotte Bienaimé est une réalisatrice, productrice et animatrice radio dont l’émission « Un podcast à soi » compte plus de 200000 écoutes par épisode. Un podcast qui traite de divers sujets féministes. Du sexisme chez les cadres à la sexualité en passant par la grossophobie, Charlotte Bienaimé brise les tabous en invitant des femmes du quotidien dans son podcast pas commun. 

C’est dans une ambiance intimiste, au Palais de Tokyo, qu’elle nous raconte comment le podcast à changé sa vie et celles de ceux qui l’entourent. 

Mais tout à un commencement. Celui de Charlotte Bienaimé se trouve avec une personne qu’on peut dire «à la fin». Un documentaire podcast sur sa grand-mère intitulé « Mémé radio ». Dans cette introspection du troisième âgé, Charlotte Bienaimé invite sa grand-mère à raconter sa vie sur des cassettes audio. Cassettes que la grand-mère ne réécoute qu’une fois le temps passé.

Ce podcast est fondateur pour Charlotte Bienaimé, elle trouve dans ce documentaire audio toute la base poétique et féministe qui guidera le reste de sa carrière. Que cela soit dans le fond ou dans la forme. Une main qui frotte du bois, la respiration, tous ces sons éveillent ses sens poétiques et Charlotte Bienaimé aime les utiliser. Tout comme jouer avec du son clair et du son saturé lorsque sa grand-mère écoute de veilles cassettes d’enregistrement. 

Nous sommes encore à une époque où Charlotte Bienaimé ne peut pas supporter d’être sa propre voix. Heureusement pour nous tous, et surtout pour vous toutes, l’histoire ne lui donnera pas le choix. 

Charlotte Bienaimé, autrice

Silvain Gire, co-fondateur et responsable d’Arte Radio

En 2017, le podcast « Un podcast à soi » né, alors que l’affaire Weinstein et METOO pointent le bout de leur nez. L’idée est simple : écouter toutes les femmes! Alors que Charlotte se décrit, sans honte ni fierté, comme une bourgeoise hétéro, les femmes qu’elle veut écouter viennent de tous les horizons. Qu’elles soient prolos, bobos, capitalistes, anarchistes, hétéros ou lesbiennes, elles veut toutes les entendre.

Et quoi de plus adapté que le podcast pour libérer la parole des femmes ? N’y a-t-il pas plus intimiste qu’un micro face à une personne ? L’un des principaux buts du féminisme est bien d’affirmer sa voix ! De plus, ne pas voir les visages permet à n’importe qui de pouvoir se projeter plus facilement dans les récits des femmes interviewés. Rajoutez à cela les moments de silences, de musique, de tranquillités, et hop, les histoires personnelles, les théories féministes et les interviews semblent entendables par tous et par toutes. 

Et si un auditeur veut remettre en question la parole des femmes durant l’épisode ? Eh bien c’est le principe d’un récit audio. Il est irréfutable car impossible à couper. On ne peut le réfuter. Il existe, qu’on l’accepte ou non. Si la parole des femmes sied si bien au podcast, c’est parce qu’enfin, personne ne peut plus leur couper la parole.

En parlant de coupe, il y en a une que Charlotte Bienaimé redoute plus que tout, celle du montage. Un silence, une partie d’interview coupée, une musique rajoutée, il suffit de quelques secondes pour renverser un épisode sur lui-même. D’un côté, quelle puissance d’écriture ce merveilleux outil ! De l’autre, il n’y a pas d’étape plus redoutée que celle-ci. 

Bien qu’elle soit toujours énervée en salle de montage, Charlotte Bienaimé y trouve aussi une joie immense. Bien sûr, cela fait mal lorsque l’on doit couper le magnifique poème que l’on voulait ajouter à tel temps donné. Certes, la structure écrite planifiée pendant des heures en amont du montage part à volo. Mais c’est là, dans la salle sombre, face au logiciel de montage, que Charlotte Bienaimé arrive à trouver la véritable nature de l’épisode. Sa personnalité !

Mais la véritable nature des choses n’est pas toujours aussi intéressante à expérimenter, Charlotte Bienaimé en a fait les frais. La nature des choses est parfois violente et sombre. La nature des hommes. Cette nature, elle a pu l’apprendre au cours de ses nombreuses interviews avec des femmes battues, harcelées, expulsées. Tout cela est violent à vivre, mais aussi à entendre. 

Lorsque le micro se coupe, lorsque Charlotte Bienaimé rentre chez elle, l’interview ne s’est jamais vraiment arrêtée. Les conséquences psychologiques sont bien réelles. Durant son épisode « des femmes violentes » où l’on part à la rencontre de femmes qui répondent à la violence par la violence, son histoire arrive sans crier gare. 

Charlotte Bienaimé a eu un bébé pendant la période covid, mais elle a aussi perdu sa grand-mère. D’une chose à l’autre, elle est tombée en dépression. Entre les femmes qui content leurs histoires de constantes violences et la dépression qui embrumait son recul, Charlotte Bienaimé comprend ces femmes qui ont tué. Elle se sentait plus en colère que jamais.

Le podcast est un métier à risque. 

Raconter son histoire dans ce magnifique lieu qu’est le Palais de Tokyo, Charlotte Bienaimé a du mal à s’entendre. Mais que peut-elle y faire? Les femmes qu’elle rencontre, peu importe leur bord, leur origine et leur vocation influencent sa vie, ses décisions, ses pensées, bref, tout ce qu’elle fut, est, sera …

Après cette étape initiatique de sa vie, le podcast s’est concentré sur le sujet du désir chez les femmes. Plus intime, cette approche lui permet d’arriver au cœur du sujet féministe. Différent sujet, différente approche. Pour rencontrer des femmes, Charlotte Bienaimé parcourt toute la France. Jusqu’à habiter à Dunkerque. Ce qui, au-delà de lui donner un endroit fixe avec énormément de sujets à traiter, a dû changer le fonctionnement de production d’Arte Radio.

Le prochain segment se conte en quelques phrases. Une suite de lettres que ses auditrices lui ont envoyées. Une femme à enfin dis « non » à des attouchements sexuels dans le cadre familial après avoir écouté son podcast. Une femme lesbienne a pu comprendre que son lesbianisme dépasse son amour d’enfance. Une dernière femme a pu redécouvrir son corps après son accouchement, sans le juger ni le comparer. 

Pour finir, Charlotte nous fait écouter l’extrait d’un livre. Dans cet extrait, un homme prend conscience de la mortalité d’un proche lorsque « il doit laver la merde collée au corps âgé de sa mère ». Pour expliquer sa phrase l’auteur dit que la littérature est faite pour écrire ce genre de phrase. Parce que réel. Parce que tous nos sens sont invoqués lorsqu’on entend une action pénible qui risque de nous arriver. Mais n’est-ce pas une manière de combattre ce réel que de l’encapsuler en une « simple » phrase? La vie nous donne déjà tellement de coups, la littérature nous permet d’en donner en retours. 

Rendre les coups à la vie. Voilà la phrase sur laquelle j’ai quitté Charlotte Bienaimé. Et je ne m’en remettrais certainement jamais. 


Un récit d’Antoine Pugnet


Pour écouter « Un podcast à soi »  : 

https://www.arteradio.com/emission/un_podcast_soi/1092


Le programme d’Arte Radio part en Live : 

https://palaisdetokyo.com/exposition/arte-radio-part-en-live/