L’AUTEUR ET L’ACTE DE CRÉATION
Décrypter le Rapport de Bruno Racine
Ça y est, j’y suis. La fin de mes années d’études, à l’aube de la vie active. Je me plonge dans l’art de l’écriture audiovisuelle, mettant les mots sur ce qui émerge de mon imagination. Je compte bien utiliser ma plume pour gagner ma vie. Ou mon clavier, à l’époque actuelle. Mais comment faire pour en vivre ?
Cette question, je me la suis posée bien avant la fin de mes études. La vie d’artiste ne suit pas un cours d’eau ordinaire. Il m’a fallu poser le pour et le contre avant de m’aventurer dans cette voie. Après quelques recherches, j’ai découvert qu’il existait trois statuts principaux pour les artistes : l’auto-entreprenariat, l’intermittence et le régime d’artiste-auteur. Si les deux premiers termes m’étaient familiers, le dernier m’était inconnu. Il s’agit d’une protection sociale qui assure les artistes aux cotisations à la sécurité sociale dans les mêmes conditions que les salariés. Quelle aubaine !
On me raconte beaucoup d’histoires. Les histoires de ces auteurs, de ces artistes qui doivent bien souvent se battre pour vivre. Leur art ne suffit pas à subvenir à leurs besoins malgré les aides mises en place par l’Etat. Et cela m’effraie. J’ai 24 ans, sans aucune expérience professionnelle dans le milieu, et j’entends déjà que mon avenir est incertain ? Je ressens le besoin de me renseigner sur la réalité du terrain. Savoir comment je vais vivre demain, tout en exerçant ma passion pour l’écriture. J’embarque ainsi sur mon radeau, prêt à découvrir la vie professionnelle, souvent bien loin des fantasmes théorisés.
Je tombe sur le rapport L’auteur et l’acte de création de Bruno Racine, conseiller, maître à la Cour des comptes, sorti en janvier 2020. Cette étude sur les artistes-auteurs lui avait été confié par le ministre de la Culture Franck Riester, dans le but de mettre en lumière la situation des activités de création en France, afin d’adapter les politiques publiques existantes. En effet, depuis plusieurs années déjà, les évolutions technologiques, sociales et culturelles ne correspondent plus au champ d’application du régime d’artiste-auteur.
Pour son rapport, Bruno Racine a effectué un travail titanesque. Il a interrogé énormément de professionnels et réalisé de nombreuses études en 2019. Malheureusement, ce rapport a été oublié, presque enterré, alors qu’il dépeint très bien la situation actuelle des artistes. Ce que j’en retiens, c’est que la notion d’artiste-auteur est encore vague pour tout le monde, et qu’elle mérite d’évoluer. Je vous en parle aujourd’hui.
Focus sur le régime ARTISTE AUTEUR
La première question que je me pose est de savoir ce qu’est véritablement un artiste-auteur.
Selon l’article L. 382-1 du code de la sécurité sociale, sont concernés par ce régime « les artistes auteurs d'œuvres littéraires et dramatiques, musicales et chorégraphiques, audiovisuelles et cinématographiques, graphiques et plastiques, ainsi que photographiques » . Sont entendus « les auteurs d'œuvres photographiques journalistes professionnels […] au titre des revenus tirés de l'exploitation de leurs œuvres photographiques en dehors de la presse et […] à l'issue d'une période de deux ans […] pour leurs revenus complémentaires tirés de l'exploitation de leurs œuvres photographiques dans la presse ; les auteurs d'œuvres photographiques non journalistes professionnels qui tirent de leur activité, directement ou par l'intermédiaire d'agences de quelque nature qu'elles soient, des droits d'auteurs soumis au régime fiscal des bénéfices non commerciaux et qui exercent leur activité depuis au moins trois années civiles ».
Je poursuis mes recherches dans le code de la sécurité sociale, mais je ne trouve pas un nom de métier précis indiquant/précisant les réelles bénéficiaires de ce statut.
En réalité, il est difficile de donner une définition exacte de ce qu’est un artiste-auteur. La pluralité des métiers entrant dans la cadre artistique est vaste et continue au fil des années de se multiplier. Cela crée un vide juridique défavorable à la situation des artistes auteurs. Néanmoins, la définition la plus répandue serait que la personne qui a créé une œuvre reconnue comme une œuvre de l’esprit au sens du code de la propriété intellectuelle et qui percevrait des droits d’auteurs sur ses créations, pourrait se considérer comme artiste-auteur. C’est d’ailleurs sur cette base des revenus de droit d’auteur que sont calculées les cotisations, selon l’article L.383-3 du code de la sécurité sociale.
Aujourd’hui, ce sont 270 000 personnes qui cotisent au régime général des artistes-auteurs, dont 40 000 à titre d’activité principale. Quelques milliers d’artistes supplémentaires non affiliés percevant des droits d’auteurs seraient à rajouter à ce compte. Ce nombre croît chaque année de façon très diverse selon les secteurs. Même si le taux des artistes-auteurs affiliés a augmenté de 52% entre 2001 et 2017, je me rends compte que certains secteurs sont délaissés, comme la peinture et la sculpture. En 17 ans, le taux de peintres affiliés baisse de 26%, le taux de sculpteurs affiliés de 8%. En revanche, le nombre d’artistes-auteurs dans les domaines de l’audiovisuel et du graphisme a explosé, démontrant l’importance du multimédia, en particulier de la vidéo et des jeux vidéos. Les auteurs audiovisuels affiliés enregistrent une croissance de 203% et les graphistes affiliés, une croissance de 149% en 17 ans !
La valeur tirée de leur production suit cette tendance de croissance, puisqu’elle a fortement augmenté ces dernières années. Les droits d’auteurs perçus par les organismes de gestion collective (OGC, les sociétés qui centralisent la gestion de l’exploitation des œuvres des artistes en jouant le rôle d’intermédiaire entre les auteurs et producteurs) ont augmenté de 62% entre 2000 et 2018 ! De plus, les revenus déclarés par les artistes-auteurs affiliés, sans prendre en compte la croissance du nombre d’adhérents, augmentent d’environ 50% entre 2001 et 2017. En 2018, près de 110 M€ sont versés en aide aux auteurs.
Ces chiffres me semblent positifs et me confortent dans l’idée que scénariste reste un métier d’avenir. Je suis dans la bonne voie. Pourtant, le rapport indique qu’un sentiment de paupérisation s’est installé chez les artistes-auteurs. Mais alors, d’où provient-il ?
En poursuivant ma lecture du rapport, je m’aperçois que les droits perçus par les OGC ne renseignent pas le montant final que reçoivent les auteurs. Il faut retirer les frais de gestion et d’autres refacturations, qui nous amènent à un revenu bien plus bas que les montants rapportés par la commission de contrôle des OGC. On arrive à un revenu individuel moyen s’élevant à 1,6 SMIC en 2017. C’est un montant faible connaissant des disparités en fonction des secteurs d’activité. Pourtant, ce sont 125 M€ qui sont consacrés à l’action artistique et culturelle (montant qui a augmenté de près de 70% entre 2013 et 2017!). En réalité, seulement 43,5% de ces actions sont dédiées à la création. La grande majorité de ces aides ne sont pas « directes »: elles n’atteignent pas les auteur.rices directement.
L’AGESSA (L'Association pour la Gestion de la Sécurité Sociale des Auteurs) et MDA (Maison Des Artistes) indique ainsi qu’à l’exception des sculpteurs (+2%) et plasticiens (+3%), les autres métiers ont tous connu un déclin dans leurs revenus entre 2001 et 2017. Les secteurs de l’audiovisuel, de la photographie, de l’écriture manuscrite et de l’illustration MDA enregistrent les pires baisses.
Ainsi, les auteurs audiovisuel ont vu leurs revenus chuter de 27% en 17 ans, dans un secteur pourtant toujours plus fructueux! Les chiffres de l’Insee recensent un chiffre d’affaires de 894 millions d’euros en 2000 pour le cinéma (en comptant seulement les tickets!) et un chiffre d’affaires de 1 380 millions d’euros en 2017. Certes, tous les films diffusés ne sont pas français. Néanmoins en 2017, c’est 37,5% des entrées qui concernent des longs-métrages français. En 2000, c’était 28,5% des entrées.
Les photographes (-18%), les écrivain.es (-17%) et les illustrateur.rices MDA (-16%) sont également fortement touché.es par cette baisse de revenus.
On peut s’interroger sur ces chiffres. Comment, dans une époque où le partage et l’intérêt pour les œuvres culturelles se sont démocratisés et simplifiés, les industries artistiques ont pour la plupart vu leurs bénéfices exploser, les revenus des artistes-auteurs ont suivi la tendance inverse ?
Une part importante des aides perçues par les artistes-auteurs est en réalité consacrée au soutien des réseaux et des labels. Ils ne perçoivent qu’une part minoritaire des aides, puisqu’elles sont concentrées sur la transmission plus que la création. C’est-à-dire que l’on va privilégier la promotion des œuvres. Je trouve ce schéma illogique, dans la mesure où la création est à la base de la culture. Donnez les moyens à la recherche médicale, ils trouveront des remèdes et des vaccins. Donnez les moyens à la création, nous vous donnerons des œuvres plus abouties et culturellement riches.
Prenons l’exemple, dans mon cas, de l’écriture d’un scénario sous contrat. S’écoulent en moyenne deux ans entre la signature du contrat et le début du tournage d’un film. Durant ce laps de temps relativement long comprenant la recherche et la remise de plusieurs versions d’un synopsis, séquencier et continuité dialoguée, le paiement est en moyenne réparti sur 2,7 versions du scénario complet du film. Je suis payé à l’étape finale du projet. Mais avant d’arriver à cette version complète, comment je vis sans être payé ? Il existe bien sûr des aides, mais là encore elles n’interviennent que tardivement dans le processus de création. Cette politique m’expose à un risque élevé tout au long de la phase d’écriture, ce qui ne me permet pas de me consacrer sereinement à mon travail de création. Mon cerveau créatif tracassé, c’est mon cerveau moins efficace.
Ce schéma se retrouve dans beaucoup de domaines artistiques. C’est d’ailleurs le problème qui me parait le plus important aujourd’hui : la reconnaissance du temps et la valeur de création. Créer une œuvre ne se fait pas du jour au lendemain. L’idée germe, pousse, se développe. Des branches se forment dans toutes les directions, et c’est l’artiste qui les coupe ou les arrose pour lui donner la forme qu’il souhaite. Ce processus, à la manière d’un végétal, prend du temps à grandir.
Dans les faits, c’est un à-valoir qui est donné à l’auteur pour financer sa création. Un à-valoir est une somme d’argent avancée à l’auteur par celui qui va commercialiser l’œuvre afin qu’il puisse réaliser son projet. Mais le montant n’est pas encadré juridiquement, ce qui laisse la possibilité au contracteur de décider unilatéralement des sommes, pour la plupart dérisoires, loin de la réalité du coût de la vie.
Dans l’édition, 70% des auteurs perçoivent un à-valoir inférieur à 3000€. C’est trop peu, à moins d’écrire le livre en deux mois. Bon courage. Et dans certains cas, l’éditeur a le droit… non… se donne le droit de demander à l’artiste-auteur de rembourser l’à-valoir si le nombre de ventes est inférieur à ce qui avait été anticipé, ou l’impose carrément en gardant les droits d’auteur comme remboursement.
Le secteur audiovisuel est en revanche plus encadré avec les avances « garanties ». L’auteur perçoit un minimum garanti en amont de la création de l’œuvre, qu’il garde quoiqu’il arrive. L’acompte peut aussi prendre la forme d’une prime, assimilée à un forfait rémunérant le temps passé à la création de l’œuvre ou à l’exclusivité accordée au producteur. Ce mécanisme contourne en réalité le principe général affirmé dans le Code de la Propriété Intellectuelle, qui stipule que la rémunération est proportionnelle aux recettes, avec un taux fixé libre. Le producteur ne doit pas oublier que l’auteur est son associé. Il pourrait mieux distribuer les RNPP. Vous savez, les « recettes nettes part producteur » qu’il touche une fois l’amortissement du film remboursé. Bien souvent, le distributeur négocie un pourcentage sur les entrées après l’amortissement. L’auteur devrait faire de même… ou cela devrait être fait automatiquement.
Les artistes-auteurs ne sont pas juste confrontés à des disparités de revenus. Ils sont également touchés par un manque de connaissance juridique des administrations qui les régissent. Sans interlocuteur spécialisé, le sentiment d’oublié.e de l’Etat ne peut que s’accroître. En 2018, il augmente le prélèvement de la CSG afin de compenser la suppression de plusieurs cotisations sociales. Les artistes-auteurs n’ayant pas le statut de salariés, ils ne payaient aucune cotisation. Cela signifie donc une hausse de leur prélèvement obligatoire, sans contrepartie. C’est l’erreur de l’Etat qui a déclenché l’inquiétude des artistes-auteurs de ne pas être pris en compte lors des prochaines réformes, mais surtout ce sentiment d’être oubliés des conversations qui les concernent. Ils ont tout de même reçu une compensation, même si cela n’efface en rien les fractures dans la confiance des institutions.
Ce n’est pas la première fois que les artistes-auteurs souffrent d’oublis. Depuis 1975, les artistes-auteurs membres de l’AGESSA n’ont jamais cotisé pour les assurances vieillesse, alors qu’ils étaient concernés par les prélèvements… Presque 45 ans pendant lesquelles tous pensaient cotiser pour leur retraite. Pour au final découvrir qu’ils n’ont rien. Comment est-il possible que personne ne se soit rendu compte de rien ? Comment est-il possible de passer à côté d’une telle faille ?!
L’AGESSA, la MDA et la CPAM remplissent le rôle de l’Etat. Elles proposent, grâce à des bénévoles, des services de conseils juridiques. Malheureusement, la multiplication des organismes représentant les artistes-auteurs favorise l’absence d’unité, tout comme le nombre d'adhérents relativement bas qui contribue à minimiser l’impact de leurs combats et revendications. Cela engendre un manque de régulation et de cohésion dans les secteurs de création, ainsi que des problèmes de communication avec les différents acteurs.
L’interdisciplinarité des activités créatives, de plus en plus courante, contrecarre ces effets négatifs. Des organisations telles que le CAAP (Comité Pluridisciplinaire des Artistes-Auteurs), autrefois destiné aux plasticiens, graphistes et photographes, se sont ouverts à tous les artistes-auteurs. D’autres, comme le SNAC (Syndicat National des Auteurs et Compositeurs) rassemblent plus d’un millier d’adhérents de secteurs artistiques différents, entre autres la musique, la danse, la littérature, la bande dessinée, le théâtre et l’audiovisuel. Plus récemment, le rapprochement des photographes et des photojournalistes a donné naissance à l’UPP (Union des Photographes Professionnels).
La représentation des artistes-auteurs par les grandes instances, telles que les OGC, ne convient pas à tout le monde. Il leur est souvent reproché leur dichotomie dans les acteurs qu’elles représentent : les distributeurs ne partagent pas les mêmes intérêts que les artistes-auteurs. Leur soutien financier envers les associations d’auteurs, bien qu’il permette leur survie, sacrifie leur indépendance.
Un autre de point de contention est la différence de ce régime par rapport au reste du monde du travail. Dans le monde des auteur.rices de l’audiovisuel, on envie la Writers Guild of America (Guilde américaine des écrivains). Syndicat indépendant, il représente les scénaristes de l’industrie audiovisuelle et contrôle leurs conditions de travail. La guilde agit également comme interlocutrice entre scénariste et producteur. Les rémunérations sont versées au syndicat qui les transfert sous forme de salaire aux auteurs. Les salaires couvrent le travail créatif, l’exploitation des œuvres. La guilde possède une place importante dans le cycle de création américain et d’un pouvoir de négociation avec les producteurs, diffuseurs. Leur statut d’indépendant et leurs objectifs, centrés autour des intérêts des scénaristes, leur permet de garder une ligne directrice mais surtout les intérêts collectifs! Ce positionnement paye. A ce jour, la Writers Guild of America comporte plus de 10 000 membres ! Ce schéma est si loin de celui de la France, où les autres acteurs profitent des fruits de l’artiste. Un arrière-goût d’antan me laissant perplexe.
Faisons un bond dans le temps. On est au XVIIIème siècle, l’imprimerie est à ses débuts dans la typographie. Cette nouvelle technologie offre une opportunité nouvelle aux auteurs : augmenter le nombre de tirages de leurs ouvrages et donc leurs propagations. La popularité des auteurs en bénéficie également. Seulement, le prix du livre est fixé pour rémunérer le travail des imprimeurs, les bénéfices des ventes leur reviennent. L’auteur gagne ainsi peu ou pas d’argent. Leur seul gain est l’honneur, la reconnaissance de leur nom. Il semblerait que nous avons gardé les traces de ce fonctionnement. La visibilité comme paiement est encore aujourd’hui une façon de faire très courante, en particulier pour les jeunes artistes-auteurs. Et lorsqu’il y’a rémunération (ce qui devrait être logique), elle est déséquilibrée. Ce déséquilibre et ces rapports de force inégaux ont une énorme influence sur les relations des auteurs.
D’après une étude de la SCAM et la SGDL, 60% des auteurs seraient insatisfait de leur relation avec tout ou une partie de leurs éditeurs. C’est un chiffre énorme ! Cette insatisfaction vient notamment du manque de marge de manœuvre et désavantage lors des négociations des contrats. Selon le rapport, certains éditeurs appliquent des taux de droits d’auteur de 2,25% du prix de vente des ouvrages en France, et 1,69% pour les ventes à l’étranger. Le taux des droits d’auteur pour le secteur du livre est en moyenne autour de 8%.
Donnons un exemple concret. Admettons que je publie un livre à 20€. Si les droits d’auteur sont fixés à 8%, je toucherais 1,40€ sur chaque ouvrage vendu. Sachant que le tirage moyen en 2018 était de 4732 exemplaires, je percevrais en tout 7571€ de droits d’auteur sur la vente de livres imprimés.
Recommandations - luttes à mener !
L’éditeur touche environ 21% des parts, ce qui équivaudrait, pour le même nombre d’exemplaires vendus, à 19874€. Le distributeur, qui touche 12% des parts, recevrait 11356€ et le point de vente, qui touche 36% des parts, 34070€. Rajoutez à cela la TVA à 5,5%, soit plus que ce que perçoit l’auteur ! Comment se fait-il que la personne à l’origine même de l’œuvre, soit celle qui touche le moins de toutes celles qui participent au cycle de vie d’un livre?
Dans certains contrats, il est même stipulé que les droits d’auteur perçus par les éditeurs doivent atteindre une certaine somme, sans quoi ils ne seront pas versés à l’auteur, sauf s’il les demande. Tout cela sans aucune justification. Par ailleurs, après 5 ans d’exploitation, l’auteur doit démarcher lui-même l’éditeur afin de recevoir les droits d’auteur ! L’éditeur n’est plus obligé de les envoyer. D’autres clauses contractuelles en faveur de l’éditeur existent, comme l’immobilisation de l’œuvre pendant 6 mois à compter de sa remise, ou encore l’interdiction de reproduction sur « tous supports, tangibles ou non, actuels ou futurs, connus ou inconnus à ce jour ». Cette accumulation de contraintes contractuelles pour les auteur.rices est présente dans plusieurs domaines artistiques.
Je ne comprends pas cette situation. Bien évidemment, il y’a le coût du matériel, le stockage des exemplaires, la promotion et la distribution dans les points de vente à travers le monde qui doivent être anticipés et remboursés grâce aux ventes. Cependant, cela ne justifie pas cette différence flagrante dans les bénéfices. Les artistes-auteurs ont une marge de bénéfices bien plus faibles que le reste des acteurs de l’aval ! Peut-on vraiment dire que l’imaginaire de l’auteur.rice est moins important que le papier utilisé pour fabriquer le bouquin ? Quand on achète un livre, on l’achète pour le contenu, pas pour le contenant! On revient vers un.e auteur.rice pour son style, son univers…
Une œuvre artistique accessible au public est le résultat d’un travail collaboratif entre ses acteurs. Chacun doit être récompensé à sa juste valeur. Ce n’est pas le cas actuellement.
S’ajoute à cela la question de la reconnaissance. Je me situe dans la tranche d’âge la plus durement touchée par ces problématiques de revenus. Les métiers artistiques fonctionnent en grande partie sur le succès et la réputation, ce qui rend imprévisible la carrière à venir. Et qui dit succès dit reconnaissance. Quand on débute dans le milieu, personne ne nous connait, on ne peut pas prouver que l’on est un bon investissement. Pourquoi prendre des risques en misant sur du nouveau quand l’on a déjà la garantie du connu et du succès ?
Bruno Racine rapporte que les jeunes peinent à tirer des revenus suffisants de leur activité, ce qui en amène beaucoup à renoncer prématurément à leur carrière d’auteur. S’il n’y a pas un soutien extérieur de la famille ou d’un conjoint salarié, les auteurs - tout âge confondu - sont en grande difficulté. Le phénomène est tel que la part des jeunes artistes-auteurs (18 à 29 ans) ne représente que 4%. Ce constat est encore plus frappant quand on apprend que 54% des artistes-auteurs ont plus de 45 ans. Alors je sais bien qu’il y a un savoir-faire à maîtriser, un langage à apprendre. Mais l’art c’est avant tout une vision. Je ne pense pas qu’il y’ait un âge requis pour pouvoir s’exprimer et intéresser les gens. Les jeunes sont les mieux placés pour parler aux jeunes, une génération qui porte un grand intérêt au monde de l’audiovisuel notamment. Ils font partie intégrante de la culture moderne, avec les enseignements de leurs prédécesseurs. Une situation optimale pour présenter des idées et des œuvres qui vont se vendre auprès d’un jeune public. Arrêtons de craindre l’incompétence, la jeunesse. Laissons une chance, une place. Prenons notre place et diversifions ce que le monde des arts a à offrir.
L’expérience et la jeunesse ne sont pas les seules critères discriminants. Les disparités entre les genres sont toujours aussi présentes ! Sans grande surprise (malheureusement), les femmes sont moins bien payées que les hommes. Bien que majoritairement bénéficiaires d’aides à l’écriture dramatique dans le secteur du livre, les femmes déclarent 21% de revenus de moins que les hommes. Le revenu personnel global médian par an pour les artistes plasticiens est de 33% de moins pour les femmes. Dans le secteur de l’illustration, ce revenu connait un écart de 41% après vingt ans de carrière ! Dans le domaine de l’audiovisuel européen, la rémunération maximale atteinte au cours de la carrière des femmes est 20% plus faible que les hommes. En 2019, tous secteurs confondus, c’est un écart de revenu de 28% entre les hommes et les femmes chez les affiliés de l’AGESSA, et 21% pour ceux de la Maison Des Artitses . Une différence considérable de revenu ajoutée à des conditions de travail défavorables pour les femmes.
Toutes ces problématiques contribuent à alimenter mes inquiétudes. Les métiers de l’audiovisuel, plus particulièrement les auteur.rices, font partie d’un secteur toujours plus en expansion. Les demandeur.deuses connaissent une croissance constante, sans être mieux reconnu.es par l’Etat ou les producteurs. Dans un monde où le coût de la vie est cher, le paiement en reconnaissance et gratitude n’a aucune valeur.
Artiste, c’est un métier de passion. Il en faut pour se lancer dans un projet dans lequel on pourrait avoir le statut de demi-bénévole. De plus, un projet bourbier peut mettre en danger la situation financière des artistes-auteurs, voire même les mener à la précarité.
Si j’ai bien retenu quelque chose de mes études de cinéma, c’est que l’art audiovisuel suit une myriade de codes. Et c’est partout pareil. Nous savons très bien que les domaines artistiques sont aussi industrialisés, il faut vendre notre art pour générer un profit. Seulement, le schéma actuel n’est pas pérenne et encore moins soutenable. La seule solution pour nous, artistes-auteurs, est de changer cela !
Le rapport Racine ne fait pas seulement état de la situation des artistes-auteurs. Il propose des recommandations à l’Etat pour permettre aux prétendants du statut de mieux vivre de leur métier. Ces 23 recommandations visent à réguler, garantir des équilibres entre les différents acteurs de la création, ainsi qu’à promouvoir et soutenir la diversité et la prise de risque.
Recommandation 1: Tenir compte de critères de professionnalité pour permettre aux auteurs de bénéficier d’une prise en charge de leurs surcotisations par les commissions d’action sociale de l’AGESSA et de la MDA, lorsqu’ils ne remplissent pas la condition de revenus et qu’ils en font la demande.
Aujourd’hui, le critère essentiel chez les artistes-auteurs pour bénéficier de la protection sociale est le revenu annuel (seuil de 900 fois la valeur moyenne du SMIC horaire). L’étude recommande de prendre en compte d’autres critères en plus du revenu (fixés par les organisations représentatives des artistes-auteurs), afin de reconnaître la qualité d’artiste-auteur à ceux qui se consacrent à la création mais ne parviennent pas encore à en vivre ou traversent une période creuse.
Recommandation 2 : Simplifier et assouplir les dispositifs de lissage pour tenir compte de l’irrégularité des revenus perçus par les artistes-auteurs (calcul des cotisations et des impositions) et leur permettre d’étaler leurs paiements.
Recommandation 3 : Étendre le champ des activités accessoires et rehausser le nombre annuel des activités permises ainsi que le plafond des revenus associés, afin de mieux tenir compte des activités de l’auteur dans la cité.
Bien que le champ d’activités accessoires soit déjà encadré, il doit être élargi. Les activités annexes comme les rencontres publiques et les débats concernant l’auteur.rice, par exemple, ne sont pas comptabilisés. Également, les ateliers organisés par les établissements publics et privés (écoles, hôpitaux, prisons, bibliothèques, etc..) sont limités à cinq par auteur.rice et par an. La recommandation permet de mieux prendre en compte la réalité des artistes-auteurs. Elle permet aussi une meilleure accessibilité à la culture, pour tous et toutes.
Recommandation n°4 : Ouvrir le droit de vote à des élections professionnelles à tous les artistes-auteurs remplissant la condition de revenus (900 fois la valeur moyenne du SMIC horaire) au cours d’au moins une des quatre années écoulées ; dans un second temps, prévoir les modalités permettant d’associer aux élections les artistes-auteurs ne remplissant pas la condition de revenus mais pouvant être regardés comme professionnels au regard de critères objectifs, lorsqu’ils en font la demande.
Recommandation n°5 : Organiser rapidement des élections professionnelles dans chaque secteur de création artistique afin de doter les artistes-auteurs d’organisations représentatives, financées par les organismes de gestion collective.
Recommandation n°6 : Généraliser les instances de médiation sectorielles et renforcer leur rôle en leur permettant d’intervenir pour dénouer des litiges individuels opposant des artistes-auteurs aux acteurs de l’aval (éditeurs, producteurs, diffuseurs).
Le financement pour ces opérations électorales et les syndicats d’auteur.rices existent déjà: 60M€ restent aujourd’hui inutilisées et nourrissent la trésorerie des OGC. Je trouve que c’est une bonne idée de créer une représentation sectorielle des différentes activités de l’artiste-auteur.
Recommandation n°7 : Créer un Conseil national composé des représentants des artistes-auteurs, des organismes de gestion collective et des représentants des producteurs, éditeurs et diffuseurs, chargé de formuler des propositions et de conduire les négociations collectives sur tout sujet intéressant la condition des artistes-auteurs ainsi que leurs relations avec les exploitants des œuvres.
Recommandation n°8 : Renforcer la représentation des auteurs au sein du Conseil Supérieur de la Propriété Littéraire et Artistique et étendre les missions de celui-ci à l’étude de la condition des artistes-auteurs.
Recommandation n°9 : Créer une délégation aux auteurs au ministère de la Culture chargée de coordonner la politique des artistes-auteurs du ministère de la culture et de ses établissements publics, de piloter la concertation territoriale animée par les DRAC, de préparer les réformes concernant les artistes-auteurs et d’assurer le secrétariat du Conseil national des artistes-auteurs.
Recommandation n°10 : Organiser la concertation et la négociation collective en vue de parvenir […] à :
- la détermination d’un taux de référence de rémunération proportionnelle des artistes-auteurs selon les secteurs,
- la mise en place d’une transparence accrue sur les résultats de l’exploitation de leurs œuvres, en particulier le suivi des ventes,
- l’introduction dans le code de la propriété intellectuelle d’un contrat de commande rémunérant en droits d’auteur le temps de travail lié à l’activité créatrice,
- la diffusion des bonnes pratiques professionnelles, dans le sens d’un meilleur équilibre des relations entre les artistes-auteurs et l’aval de la création, ainsi que d’un encouragement à la diversité dans la création.
C’est une recommandation qui me parait essentielle. Aujourd’hui, seul.es les scénaristes pratiquent le contrat de commande. La commande d’une œuvre littéraire ou artistique n’est pas rémunérée en tant que telle. La distinction entre la rémunération du travail de l’auteur et la rémunération liée à l’exploitation de l’œuvre doit être faite.
Recommandation n°11 : Créer un observatoire auprès du Conseil national des artistes-auteurs afin de mettre en œuvre un suivi statistique et qualitatif affiné et fiable.
Recommandation n°12 : Accroître par redéploiement la part des aides accordées aux artistes-auteurs dans l’ensemble des aides publiques allouées à la création et la diffusion.
La part des aides accordées directement aux artistes-auteurs est faible. Par exemple, les aides allouées par le Centre National du Livre (CNL) sont à hauteur de 11,6% aux artistes-auteurs, contre 22,2% pour les éditeurs. Dans le domaine des arts plastiques, les plasticien.nes reçoivent environ 16% de l’ensemble des aides du Centre National des Arts Plastiques (CNAP). Dans l’audiovisuel et le cinéma, le Centre National du Cinéma et de l’image animée (CNC) verse 11M€ aux auteur.rices, sur un budget global de 760M€.
Recommandation n°13 : Préciser l’article L. 324-17 du CPI en prévoyant une part minimum des crédits d’action artistique culturelle devant être employée par les OGC à des aides directes aux auteurs.
Recommandation n°14 : Faciliter l’accès aux règles applicables aux artistes-auteurs en créant un portail d’information géré par le ministère de la culture en liaison avec la direction de la sécurité sociale et le ministère de l’économie et des finances.
Recommandation n°15 : S’assurer que tous les organismes de sécurité sociale connaissent les règles applicables aux artistes-auteurs et disposent d’une personne ressource identifiée comme référent.
Recommandation n°16 : Généraliser sans délai le droit de représentation à l’ensemble des expositions temporaires dans toutes les institutions publiques.
Recommandation n°17 : Instaurer de manière partenariale avec le CNL et la SOFIA (organisme de gestion collective, dans le domaine du livre, administré à parité par les auteurs et les éditeurs) une rémunération des auteurs de bande dessinée et littérature jeunesse, dans le cadre de leur participation à des salons et festivals.
A ce jour, les auteur.rices officiellement invité.es doivent être rémunéré.es, à l’exclusion des auteur.rices invité.es par leur propre éditeur.
Recommandation n°18 : Conditionner l’allocation d’aides publiques au respect des règles et bonnes pratiques relatives aux artistes-auteurs.
Recommandation n°19 : Identifier les facteurs d’inégalités parmi les artistes-auteurs, notamment selon l’origine sociale, géographique ou le sexe, et mettre en place des mesures adaptées pour en neutraliser les effets.
Recommandation n°20 : Veiller à ce que les étudiants des établissements d’enseignement artistique bénéficient de formations relatives aux aspects juridiques, sociaux, administratifs et commerciaux de leur future carrière.
Selon les auditions du rapport, la carrière d’artiste-auteur n’a pas suffisamment été pensée comme un «parcours aux aspects multiples». Je relate à moitié ce fait, de ma propre expérience. Dans la formation artistique, j’ai appris tout l’aspect technique et théorique de l’écriture du scénario. Mais heureusement, j’ai eu la chance d’avoir une responsable de filière qui a aussi programmé des cours aux aspects juridiques. J’ai beau savoir écrire, si je ne sais pas me vendre ou ne connait pas le marché, je ne vais pas aller bien loin… Toutes les formations artistiques devraient proposer un enseignement supplémentaire sur les aspects administratifs, juridiques et commerciaux, indispensables dans la carrière d’un artiste-auteur.
Recommandation n°21 : Prévoir des dispositifs d’aides susceptibles d’accompagner les artistes-auteurs dans la durée et étudier en particulier, dans les secteurs où ce serait pertinent, la possibilité de mettre en place un système comparable aux commissioners des pays scandinaves.
Prévoir un accompagnement des artistes-auteurs débutant.es par un mentor leur permettrait d’être mieux repéré.es et soutenu.es, aussi bien sur le plan artistique qu’administratif.
Recommandation n°22 : Renforcer et multiplier les programmes d’échanges internationaux au bénéfice des artistes-auteurs, des critiques d’art, des commissaires d’exposition et des conservateurs.
Recommandation n°23 : Organiser une manifestation ou un cycle d’expositions d’ampleur nationale autour de la création contemporaine en France visant notamment à montrer sa vitalité et sa diversité territoriale.
J’ai un avis mitigé sur ces deux recommandations. Il est intéressant d’avoir une expérience à l’étranger, de découvrir et de s’imprégner des cultures d’autres pays européens. Cela améliorerait aussi la visibilité des auteurs français à l’international. Mais le risque de voir nos auteur.rices quitter la France s’accentue. Des résidences d’écriture accueilleraient des auteur.rices internautionaux.ales, mais fermeraient par la même occasion des places à des auteur.rices français.es. Est que l’Etat s’engagerait à financer ces programmes d’échange ?
Pour aller plus loin
Lire le Rapport de Bruno Racine en intégralité :
https://www.culture.gouv.fr/Espace-documentation/Rapports/L-auteur-et-l-acte-de-creation
Composition prix livre papier :
https://www.librinova.com/blog/2021/01/13/quelle-est-la-repartition-du-prix-de-vente-dun-livre
Chiffres-clés du secteur du livre 2018-2019 :
MDA et AGESSA :
https://www.secu-artistes-auteurs.fr/mda/missions
https://www.secu-artistes-auteurs.fr/agessa/organisation
INSEE : Chiffres audiovisuel
https://www.insee.fr/fr/statistiques/4277904?sommaire=4318291#titre-bloc-3
Une analyse de Thibault Legrand