THE WHALE

Darren Aronofsky réalise l’adaptation de la pièce « The Whale » créée par Samuel D. Hunter, huis-clos qui confine le spectateur avec Charlie, obèse morbide et boulimique qui attend la mort dans son appartement. 


Entre prolongations thématiques du cinéma de son réalisateur et come-back récompensé d’un Oscar pour son acteur, comment le film cristallise-t-il toutes les névroses d’Aronofsky et Fraser ?

Darren Aronofsky : antre de l’addiction - souffrance de l’esprit et du corps. 


Adapter « The Whale » au cinéma est un fantasme pour Darren Aronofsky depuis 10 ans. 

Le réalisateur dira qu’il a été “profondément touché par les idées abordées, et par la façon avec laquelle le récit trouve toujours de la beauté dans des choses que nos préjugés rendent a priori inhumaines”. Il ajoute aussi “J’y ai retrouvé cette problématique que j’aborde souvent dans mes films : comment placer le spectateur à l’intérieur d’un personnage qu’il n’aurait jamais pu imaginer être ?". 

Focus sur quatre œuvres majeures du réalisateur. 


Darren Aronofsky, réalisateur du film oscarisé "The Whale"

Après son premier film « Pi »,  Darren Aronofsky écrit et réalise « Requiem for a Dream » qui sortira en 2000, c’est déjà la consécration. Les deux films initiaux du réalisateur traitent de l’évasion de ses personnages qui ne supportent pas la réalité physique dans laquelle ils se trouvent et ce au prix d’obsessions et d’addictions.


Dans «  Pi », Max Cohen souffre de paranoïa et d’hallucinations. Le personnage est obsédé par les chiffres et ne vit qu’à travers eux, le concept est poussé à son paroxysme tel que Max ne fréquente presque que des gens doués ou ayant un lien avec les nombres


Avec « Requiem for a Dream », Aronofsky adapte Retour à Brooklyn d’Hubert Selby. Le récit présente trois personnages toxicomanes et une vieille femme accro à la télévision. Tous les personnages verront la réalité se modifier ainsi que leurs états physiques et psychologiques.  Ces illusions laisseront place au désespoir jusqu’à un point de non retour dramatique, dénué d’espoir.



"Requiem for a Dream" de Darren Aronofsky, 2000

En 2008 le cinéaste réalise le premier film qu’il n’écrit pas, « The Wrestler ». Néanmoins le projet est suivi de bout en bout par Aronofsky qui produit le film via sa propre maison de production. Ici c’est un corps fatigué et abîmé qu’il met en scène. Un corps à bout, cassé par le métier de catcheur. Randy, ancienne gloire de ce sport est contrainte de continuer à se battre pour empocher quelques dollars et ce malgré un arrêt cardiaque et les sermons de son médecin. En plus de ses activités, Randy essaye de reprendre contact avec sa fille qu’il a abandonné très jeune.  


Trois ans plus tard, « Black Swan » sort en salles. Comme son film précédent, Aronofsky place son personnage dans un milieu sportif, compétitif. Nouveau terrain de jeu pour le réalisateur, la danse. Plus précisément la danse de ballet. Ici les corps souffrent aussi, l'épuisement est physique comme mental. Pour devenir la meilleure, il faut tenir la cadence, le rythme. Briser corps et esprit pour accomplir son rêve. 




"Black Swan" de Darren Aronofsky, 2011

Tirer ces quatre longs-métrages de la filmographie de Darren Aronofsky n’est pas anodin. Par tous leurs aspects ils représentent parfaitement les thématiques chéries par son auteur. 

Maintenant voilà Charlie, dernier né et héritier des tares des personnages que nous avons précédemment cité.


L’entourage de Charlie le ramène constamment à sa dépression et son problème de poids : 

-  Liz est son amie mais c’est aussi une infirmière qui lui vient en aide. Elle est la sœur de l’amant décédé de Charlie, Alan. Ce décès entraîne Charlie dans la descente aux enfers que nous lui connaissons.

-  Thomas se fait passer pour un membre de ‘New Life’, culte religieux ayant causé la mort d’Alan.

- Le livreur qui ravitaille très fréquemment Charlie en lui déposant des pizzas sur le seuil de sa porte. Le personnage va même jusqu’à sympathiser avec lui. A la fin du film, il découvre l’apparence de Charlie, horrifié, il s’éloigne de lui comme d’une bête inhumaine

-  La classe en ligne à qui Charlie donne cours le ramène à son passé d'enseignant et donc à Alan, élève, devenu aussi son amant.

-  Ellie, la fille de Charlie, va constamment défier le personnage de Brendan Fraser, elle lui rappelle l’échec de son mariage ainsi que son rôle de père qu’il n'a pas assumé


En interview, Aronofsky dit qu’il souhaitait avec sa mise en scène, que Charlie soit central, comme un véritable centre de gravité, qui attire tel un aimant les êtres environnants. De plus, le canapé sur lequel Charlie passe la plupart du temps est positionné au milieu de la pièce à vivre, à la croisée de la cuisine (lieu qui renvoie le personnage à son poids), au salon (terrain de jeu de son peu d’interactions sociales, à la télé sa seule source de divertissement) et à la bibliothèque (culture et passé de Charlie).




  Brendan Fraser est Charlie dans "The Whale"  de Darren Aronofsky, 2022

L’addiction est un sujet fort dans le cinéma de Darren Aronofsky, « The Whale » ne fait pas exception. Au-delà de Requiem for a Dream, des films tels que The Wrestler ou Black Swan en font un thème sous-jacent. Pour le personnage de Rourke, le catch est une passion, un mode de vie, et devient un fardeau. Pour le personnage de Portman, une vocation devenue obsession. Charlie ne fait pas exception, toute sa colère, sa tristesse et sa frustration passent par de graves crises boulimiques, violentes, destructrices, sans concession


Le corps qui flanche, souffre. The Wrestler et Black Swan étaient des sujets intéressants à ce propos. Ici, Charlie subit sa propre condition, son poids ne lui permet pas de quitter son logement situé en haut d’escaliers. Encloisonné entre ces quatre murs, le sort du personnage est déjà scellé avant même le début du film, la mort. 

Malgré tout, Darren Aronofsky reste très pudique, il ne fait pas de Charlie une bête de foire, la scène d’introduction nous le fait rapidement comprendre. Ici le sujet du corps, du poids est traité frontalement, sans détour mais toujours avec du respect et de l’amour pour son personnage. Aronofsky est purement empathique pendant les deux heures du long métrage. 


Tout comme dans « The Wrestler », « The Whale » s’intéresse aussi à une relation père/fille tumultueuse.





Le jeu de Brendan Fraser

Brendan Fraser : renaissance


Brendan Fraser est un visage familier et aimé de la jeunesse des années 90 et du début des années 2000. Dans « George de la jungle » , « La Momie », « Voyage au centre de la Terre » ou encore le sous-estimé «  Les Looney Tunes passent à l’action » Fraser est une figure connue du blockbuster pop-corn de cette époque mais c’est aussi un acteur de grand talent, possédant une palette de jeu très impressionnante. De grands metteurs en scène ne s’y sont pas trompés tels que Steven Soderbergh et prochainement Martin Scorsese avec son nouveau film « Killers of the Flower Moon ». 






Brendan Fraser et son compère Daffy Duck dans "Les Looney Tunes passent à l’action"" de Joe Dante, 2003

Lors du mouvement #MeToo, Brendan Fraser prend la parole. Il annonce avoir été agressé sexuellement en 2003 par Philip Berk, ancien président de l'Association hollywoodienne de la presse étrangère, personne en charge des nominations aux Golden Globes.

Aussi, lors de de ses années de blockbusters, Brendan Fraser réalise un grand nombre de ses cascades. Cumulant les blessures, Fraser souffre de nombreux traumatismes physiques. A la suite de cette agression et de ses multiples blessures, Brendan Fraser prend ses distances avec Hollywood et se voit offrir beaucoup moins de rôles, Il sombre alors dans la dépression







Brendan Fraser dans "La Momie"  de Stephen Sommers, 1999

En janvier 2021, A24 acquiert les droits de la pièce de Samuel D. Hunter. Darren Aronofsky va réaliser le film et le rôle principal est proposé à Brendan Fraser qui accepte. Aronofsky a hésité longtemps avant d’arrêter son choix sur le comédien qui interprèterait Charlie. Après une lecture de scénario, le réalisateur sait que Fraser est fait pour ce rôle. Le comédien dira : J’ai dû réunir tout ce que j’étais et tout ce que je savais, j’ai mobilisé mon corps, ma mémoire, mon cerveau. Je savais que c’était le rôle de ma vie, quitte à ne plus jamais rien faire après. Alors, tout ce que je suis est là, à l’écran. Charlie est loin d’être un ange, mais il est incroyablement humain."


En préparation du tournage, Brendan Fraser rencontre des spécialistes du comportement alimentaire et des psychologues afin de construire son rôle. Il entre en contact avec des personnes obèses qui partagent avec lui leurs expériences. Il peut alors travailler son corps, sa corpulence, avec un coach. Avant le tournage il porte le costume et les prothèses qui pèsent 50 kg pour se familiariser avec. Il regarde des films mettant en scène des personnes obèses et relit « Moby Dick ».








La transformation de Brendan Fraser pour ‘The Whale’

« The Whale » est présenté à la Mostra de Venise 2022, le film bénéficie déjà d’un bouche à oreille positif, c’est le retour de Brendan Fraser pour les festivaliers. S’en suit une nomination du meilleur acteur aux Golden Globes (Fraser refuse de s’y rendre étant donné son passif). Enfin trois nominations aux Oscars : meilleure actrice dans un second rôle pour Hong Chau, meilleurs maquillages et coiffures, meilleur acteur pour Brendan Fraser.

Le film de Darren Aronofsky se voit récompensé de deux statuettes. Meilleurs maquillages et coiffures pour le superbe travail d’Adrien Morot, Judy Chin et Anne Marie Bradley. Enfin, le clou de la soirée, Brendan Fraser monte sur scène sous les applaudissements, l’Oscar lui est remis par Jessica Chastain et Halle Berry. Fraser ému aux larmes déclare : Je tiens à vous remercier pour cette reconnaissance, car je n'aurais pas pu le faire sans le reste de l'équipe. C'est comme si j'étais en expédition au fond de l'océan et que l'air ne me parvenait que par un petit tube qui veillait sur cette partie importante de ma vie. Il remerciera le studio A24, Darren Aronofsky, sa famille et les autres nommés.









Brendan Fraser, Oscar en main

Cette 95ème cérémonie des Oscars aura été la cérémonie des comebacks. Fraser s’est vu entouré de Ke Huy Quan, Jamie Lee Curtis et Michelle Yeoh. Trois autres acteurs revenus sur le devant de la scène avec des parcours atypiques et riches à la fois. Ke Huy Quan avait abandonné le métier d'acteur pour devenir cascadeur (Hollywood ne proposait pas assez de rôles pour les hommes d'origine asiatique) avant de rebondir avec « Everything everywhere all at once »  Il déclare à son compère de « Encino Man » (sorti en 1991) que The Whale l’a bouleversé et qu’il a appelé pendant deux heures toutes les personnes qu’il connaissait afin qu’elles aillent voir le film. Fraser ému lui répond :  « Nous sommes toujours là. »









Les acteurs oscarisés, 2023

Aujourd’hui, le casting de Brendan Fraser semble une évidence. L’acteur insuffle son jeu, son vécu et ses émotions dans un rôle complexe. Bien que limité par ses mouvements, il possède un regard qui happe, qui ne laisse pas indifférent. Il est maintenant excitant d'imaginer la future carrière de Brendan Fraser après cette reconnaissance des pairs, couronnée par un Oscar. On peut déjà imaginer les propositions pleuvoir. Pour mon plus grand plaisir. 


Darren Aronofsky, le metteur en scène espère pouvoir retravailler avec le comédien Chris Hemsworth avec qui il avait créé une série documentaire pour Disney+. 


L'avenir s'annonce donc radieux et prospère pour les deux artistes !












un coup de coeur de Gillian Nivelet